Le but n’est pas ici de résoudre en quelques lignes la question des troubles du comportement alimentaire ou des addictions. Il s’agit simplement de proposer une première idée. Chacun sera libre de la réfléchir à sa manière, selon son sentiment ou son vécu. Cela pourra être le début d’un questionnement.
On peut imaginer une ligne allant de l’anorexie à la boulimie, et dont le milieu définirait une forme de neutralité, de bien-être alimentaire. Chaque trouble alimentaire (par exemple le grignotage insatiable, la réticence à manger en présence d’autrui, ou inversement, la difficulté à manger seul) trouve sa place en un point de cette ligne, d’un côté ou de l’autre, attiré en quelque sorte soit par la logique psychique de l’anorexie soit, à l’opposé, par celle de la boulimie.
Chacun sait ce qu’il en coûte de dire non. On craint de décevoir ou d’être sanctionné, parfois on ne sait même pas exactement ce que l’on craint, mais l’on hésite malgré tout, comme s’il y avait toujours un risque, une chose à perdre. La personne anorexique, elle, a pris sa décision. Elle dit non, à sa manière, massive et redoutable : non à la nourriture et à ce corps qu’elle juge toujours trop rond. Mais pour que son refus ait une telle portée, jusqu’à mettre parfois sa vie en danger, ne faut-il pas qu’il dépasse la simple question de la nourriture ? A quoi, alors, la personne anorexique pourrait-elle dire non qui lui soit si inacceptable, à quoi, à qui ?
La personne boulimique, dirait-on, n’a pu se résoudre à ce non, peut-être le risque lui semblait-il trop grand, à la mesure du manque qu’elle ressent. Elle, au contraire, fait le choix de dire oui. Mais c’est un oui sans limite, c’est la nourriture à n’importe quel moment, de toute forme, de toute quantité. C’est une acceptation dont elle ne discute pas les conditions et qui devient violence. Le même ensemble de questions se présente à nous : à quel besoin irrésistible répond ce oui ? Et quel serait le risque de dire non ?
On sépare généralement les addictions en deux grandes familles. Les addictions à une substance (alcool, drogue, tabac, ...) et celles à une pratique (jeux, pornographie, achats compulsifs, ...). La boulimie par exemple, appartient à la première, elle est une addiction à la nourriture. On retrouve avec elle, les deux dimensions toujours plus ou moins présentes dans toutes les addictions : celle d’un besoin qui n’est jamais assouvi, mais aussi celle d’une maltraitance. On maltraite régulièrement, parfois l’on abîme quelque chose de soi dans une addiction. Cela peut être son corps, sa vie sociale ou sa situation financière, mais par dessus tout, l’estime de soi. Comme pour la boulimie, les addictions sont marquées de cette difficulté ou de cette impossibilité à dire non. Un besoin débordant pousse toujours à recommencer. Il y a ici une logique insensée et douloureuse : comment comprendre que l’on ne puisse se passer d’une chose qui ne procure plus réellement de plaisir et dont, en définitive, on se fait du mal ?